Remarques générales
Le rapport de la Commission Vermeersch se targue de belles intentions, dans un climat idéologique qui se présente comme étant positif.
Je souhaite quand même dénoncer le postulat de départ du travail de cette commission qui considère que les mesures coercitives sont inévitables. La Commission Vermeersch part du principe qu’une politique de frontières ouvertes entraînerait l’effondrement de notre sécurité sociale, et conclut qu’une politique de contrôle des frontières et d’expulsion des illégaux est la seule solution. Le centre du dispositif est le système des vols sécurisés.
Le débat est dès le départ fermé à toute autre réflexion, alors qu’en Belgique, l’absence de politique d’immigration est criant, de même que l’absence de politique de régularisation de certaines catégories d’étrangers. Il y a quand même des solutions intermédiaires entre le système des frontières ouvertes et le système basé sur l’expulsion !
C’est précisément l’absence de politique migratoire en Belgique qui est génératrice des situations inextricables dans lesquelles se trouvent des milliers d’étrangers.
La seule solution proposée aujourd’hui est l’expulsion, et la manière d’humaniser l’inhumain. J’utilise ce terme parce que nous ne devons pas nous voiler la face : une grande partie des personnes visées par les expulsions se trouvent bien souvent, pour des raisons individuelles, dans des situations humanitaires.
Pourquoi le Ministre ne proposerait-il pas au professeur Vermeersch de mettre sur pieds une commission chargée de réfléchir positivement à une politique d’immigration saine et sur des critères de régularisation ?
J’ai une autre remarque générale, plus pragmatique cette fois :d’un point de vue concret, les propositions telles qu’elles sont formulées ne permettront pas d’aboutir à l’effet recherché si elles ne sont pas revues, et risquent d’aboutir à l’effet contraire (j’en donnerai des exemples ci-après)
Troisième remarque générale : cette commission était essentiellement composée de policiers, et de membres de l’Office des étrangers, et complétée d’universitaires. Le Comité P n’était pas représenté dans la composition de la Commission Vermeersch 2 (Il était dans la Commission Vermeersch 1), ni le collège des médiateurs fédéraux. Or, le Comité P devait être considéré comme un interlocuteur incontournable dans ce débat étant donné sa connaissance de la matière, eut égard au fait qu’il mène une enquête d’une certaine ampleur sur les expulsions et faits connexes (brutalités au 127 bis, zone de transit, expulsions…), et que le collège des Médiateurs fédéraux a enquêté cette année sur la problématique de la zone de transit.
Remarques particulières
Déséquilibre entre le traitement réservé aux policiers et celui des personnes victimes de violences policières. Le problème de l’impunité des policiers perdure.
Le rapport accorde plus d’intérêt et offre plus de garanties et de protection aux policiers qu’aux étrangers concernés par les expulsions. Il part du principe que ce sont les étrangers eux-mêmes qui, en se débattant, provoquent une situation de danger.
Des peines d’emprisonnement sont proposées pour les étrangers qui réagissent violemment contre leur expulsion. Un système de barrière est prévu pour éviter les plaintes abusives d’étrangers contre les policiers qui ont procédé à leur éloignement.
Or, le comité des droits de l’homme dénonce justement le fait que trop de plaintes sont classées sans suite ou que les condamnations des auteurs de mauvais traitements soient trop faibles. Le rapport de la Commission Vermeersch ne dit rien à ce sujet…
En outre, les personnes victimes de violences policières ne sont pas suffisamment informées de la possibilité d’introduire une plainte.
Le rapport ne résout pas les problèmes de manque de transparence lors des expulsions.
Il ne propose pas une liste des moyens de contrainte dont peuvent faire usage les policiers chargés des expulsions, ni de sanctions en cas de non respects de ceux-ci.
Il serait nécessaire que les droits et les obligations des policiers chargés des expulsions soit prévus de manière précise.
Le rapport part du principe que les recommandations qu’il prévoit seront respectées et ne propose pas de contrôle interne à l’improviste, s’il se passe quelque chose à bord du vol sécurisé on ne voit pas comment les faits pourront être dénoncés : il exclut les caméras de surveillance sous prétexte que ce procédé n’est pas techniquement efficient (alors que c’est justement une caméra vidéo qui a permis de se rendre compte des circonstances du décès de Sémira Adamu), il propose la présence d’un médecin et d’un psychologue à bord mais ne dit pas par qui ces personnes devront être nommées (il serait nécessaire qu’elles le soient par un organe indépendant du SPF Intérieur, comme le Centre pour l’égalité des chances ).
Quant aux contrôles externes, ceux-ci sont émiettés : différentes instances de contrôles sont compétentes mais pour des catégories différentes d’intervenants et on ne sait pas à qui il faut s’adresser pour dénoncer des faits. Le rapport Vermeersch ne propose rien pour tenter de simplifier la situation et offrir d’avantage de transparence.
La Commission Vermeersch établit deux catégories (le retour autonome volontaire et le retour forcé) d’une manière telle que la possibilité de retour volontaire est exclue pour la majorité des personnes concernées : par exemple, les étrangers en détention administrative sont d’emblée classifiés dans la catégorie des retours forcés avec force graduée, de même que ceux qui ont dépassé le délai de l’ordre de quitter le territoire et ceux qui n’ont pas manifesté leur changement d’adresse. Pour eux, il n’existe pas de possibilité de retour volontaire.
On ne prévoit pas la possibilité de proroger l’ordre de quitter le territoire de plus de 10 jours. Or, 10 jours, c’est insuffisant pour un étranger, et encore plus pour une famille, pour organiser son départ. Lorsque des enfants sont scolarisés, le problème de l’interruption de l’année scolaire en cours se pose.
Le rapport propose la suppression pure et simple dans certains cas pour l’étranger de pouvoir demander sa mise en liberté à la Chambre du Conseil ! Cette suppression est basée sur l’idée que cela permettra de solutionner la problématique de la mise en liberté dans la zone de transit !
Ici il s’agit de priver l’étranger de l’une de ses garanties fondamentales prévue par la Convention européenne des droits de l’homme (art. 5).
Le rapport ne remet pas en question l’absence de recours effectif pour les étrangers concernés par une expulsion (ex : absence d’effectivité du recours au Conseil d’Etat dont l’introduction du recours n’est pas en soi de nature à suspendre la mesure d’éloignement).
Le rapport ne propose pas de contrôle de ce qui se passe à l’arrivée de l’étranger dans le pays vers lequel il est expulsé: on ne sait pas ce qu’il devient, on ne se soucie pas de la question de savoir s’il risque ou non d’être victime de traitements inhumains et dégradants.
Un appel est fait à la collaboration des services sociaux ! : On leur demande de participer au processus d’expulsion alors que c’est totalement contraire à leurs principes déontologiques.
Enfin, la Commission Vermeersch propose la création d’une commission indépendante et permanente pour assurer le suivi des recommandations et évaluer la politique d’éloignement, mais elle ne précise pas quelle sera sa composition (elle ne devrait pas comporter des membres des forces de l’ordre ni des représentants de l’Office des étrangers mais bien des représentants d’associations militant pour le respect des droits de l’homme, du Centre pour l’égalité des chances et avoir des relations étroites avec le Comité P et le Collège des médiateurs fédéraux. Il pourrait également être prévu qu’elle établisse un rapport annuel à destination du parlement.